S.Chistov "Emelia"
Baguier. 1990 Fedoskino |
Au bout de quelque temps,
ses belles-sœurs lui dirent:
- Emilien, pourquoi restes-tu couché? Tu ferais
mieux d'aller couper du bois.
- Je n'en ai pas envie...
- Si tu ne va pas couper du bois, tes frères
ne te rapporteront rien de la foire.
Cela ne disait rien à Emilien de descendre
de son poêle. Mais il se souvint alors du brochet
et prononça à mi-voix:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, que ma hache aille couper du bois
et que les bûches rentrent toutes seules dans
l'isba et se placent dans le poêle...
La hache bondit de sous le banc et s'en alla dans
la cour où elle se mit à couper du bois.
Quant aux bûches, elles s'en revinrent toutes
seules dans l'isba et se placèrent dans le
poêle. Au bout de quelque temps, les belles-sœurs
d'Emilien lui dirent à nouveau:
- Emilien, nous n'avons plus de bois, va en chercher
dans la forêt.
Mais lui leur répondit du haut de son poêle
: - Et vous alors ?
- Quoi, et nous?... Est-ce notre travail d'aller chercher
du bois dans la forêt?
- Je n'en ai pas envie, moi...
- Eh bien, tu n'aurais pas de cadeau.
Rien à faire. Emilien dut descendre de son
poêle. Il enfila ses bottes, s'habilla, prit
la hache et une corde, sortit dans la cour et s'installa
sur son traîneau :
- Allons, les femmes, ouvrez le portail ! Mais ses
belles-sœurs lui répondirent :
- Eh ! Tu deviens fou ! Te voilà assis dans
ton traîneau sans même avoir attelé
le cheval.
- Je n'ai pas besoin de cheval.
Les belles-sœurs ouvrirent donc le portail et
Emilien prononça à mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, mon traîneau, va-t'en dans
la forêt...
Le traîneau partit tout seul si vite, si vite,
qu'un cheval n'aurait pu le rattraper.
Pour se rendre dans la forêt, il fallait traverser
la ville. Là le traîneau renversa beaucoup
de monde. Les gens se mirent à crier: «Retenez-le,
attrapez-le!» Mais Emilien accéléra
l'allure. Il arriva enfin dans la forêt:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, que ma hache coupe du bois bien sec,
que les bûches se rangent d'elles-mêmes
dans le traîneau et qu'elles se ficellent toutes
seules...
La hache se mit à couper du bois bien sec,
quant aux bûches, elles s'installèrent
d'elles-mêmes dans le traîneau et se ficelèrent
toutes seules avec la corde. Puis Emilien ordonna
à la hache de lui tailler un bon bâton
si gros, si lourd qu'on ait peine à le soulever.
Puis il s'assit sur le chargement de bois:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, mon traîneau, retourne à
la maison...
Et le traîneau se dirigea vers la maison d'Emilien.
Emilien traversa à nouveau la ville où
il avait renversé beaucoup de monde en passant,
mais là, on l'attendait déjà.
Les gens se saisirent d'Emilien et se mirent à
l'injurier et à le battre. Emilien vit bien
que les choses allaient mal tourner et prononça
à mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, mon bâton, frotte-leur les
côtes...
Le bâton bondit et se mit à frapper.
Les gens se dispersèrent; Emilien, lui, s'en
revint à la maison et s'installa à nouveau
sur le poêle. Au bout de quelque temps le roi
entendit parler des agissements d'Emilien, et il ordonna
à un officier d'aller le chercher et de le
ramener au palais. L'officier arriva, entra dans l'isba
où vivait Emilien et demanda:
- C'est toi Emilien-le-bon-à rien? Et lui,
de son poêle :
- Qu'est-ce qu'il te faut?
- Dépêche-toi de t'habiller, je t'emmène
chez le roi.
- Je n'en ai pas envie, moi... L'officier se mit en
colère et le gifla. Emilien dit alors à
mi-voix :
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, va, mon bâton, frotte-lui les
côtes...
Le bâton bondit et se mit à frapper l'officier.
Celui-ci eut beaucoup de mal à se sauver. Le
roi s'étonna de ce que son officier n'ait pu
avoir raison d'Emilien et il lui envoya son plus grand
dignitaire :
- Amène-moi Emilien-le-bon-à-rien, sinon
je te ferai trancher la tête.
L.Falaleyeva "Emelia sur le poêle"
1967. Dymkovo |
Le dignitaire
acheta des raisins secs, des pruneaux, des pains d'épice,
et il s'en alla vers l'isba où habitait Emilien.
Il entra et demanda aux jeunes femmes ce que préférait
Emilien.
- Emilien aime bien qu'on lui parle gentiment, qu'on
lui promette de splendides vêtements, alors
il fait tout ce qu'on lui demande.
Le grand dignitaire donna les raisins secs, les pruneaux
et les pains d'épice à Emilien et lui
dit :
-Emilien, pourquoi restes-tu allongé sur ton
poêle? Allons trouver le roi.
- Mais je suis installé bien au chaud...
- Emilien, chez le roi on te nourrira bien, on te
donnera à boire. Allons, viens avec moi.
- Je n'en ai pas envie, moi...
- Emilien, le roi t'offrira des vêtements splendides,
une toque en fourrure et des bottes.
Emilien réfléchit longuement, puis répondit:
- Bon, d'accord, pars devant, moi, je te suivrai.
Le général s'en alla. Emilien resta
encore quelque temps allongé, puis il dit:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, va, mon poêle, allons chez
le roi...
On entendit alors un énorme craquement, le
toit trembla, un mur s'abattit et le poêle sortit
dans la rue et prit la route vers le palais du roi.Le
roi, qui regardait par la fenêtre, s'étonna:
- Quel est donc ce phénomène ? Le grand
dignitaire lui répondit :
- C'est Emilien qui vient te voir, monté sur
son poêle. Le roi sortit sur le perron :
- Qu'est-ce donc, Emilien, on se plaint beaucoup de
toi? Tu as renversé beaucoup de monde.
- Et pourquoi se sont-ils jetés sous mon traîneau?
Au même instant la fille du roi, la princesse
Marie, se mit à sa fenêtre et regarda
Emilien. Emilien l'aperçut et prononça
à mi-voix:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, que la fille du roi tombe amoureuse
de moi...
Et il dit encore :
- Mon poêle, retourne à la maison...
Le poêle fit demi-tour et s'en retourna. Il
rentra dans l'isba et se remit à sa place.
Et Emilien restait toujours allongé. Au palais
du roi, ce n'étaient que cris et larmes. La
princesse Marie se languissait d'Emilien, elle ne
pouvait vivre sans lui. Elle demanda à son
père qu'il la donne pour épouse à
Emilien. Le roi, fort affligé, ordonna à
son grand dignitaire:
- Allons, ramène-moi Emilien mort ou vif, ou
je te ferai trancher la tête.
Le grand dignitaire acheta des vins délicieux
et des mets divers. Il alla trouver Emilien et le
régala. Emilien but, mangea et, ivre, alla
se coucher. Mais le grand dignitaire l'installa dans
un chariot et le conduisit chez le roi.Le roi ordonna
alors qu'on apporte un grand tonneau cerclé
de fer. On y installa Emilien et la princesse Marie.
Le tonneau fut scellé et jeté à
la mer. Au bout d'un certain temps Emilien s'éveilla.
Il se retrouva dans l'obscurité et fort à
l'étroit :
- Où suis-je donc? On lui répond:
- Quel malheur, quel désespoir, cher Emilien
! On nous a enfermé dans un tonneau qu'on a
jeté à la mer.
- Mais qui es-tu, toi?
- Je suis la princesse Marie. Emilien dit alors:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, que des vents violents amènent
le tonneau sur un beau rivage couvert de sable doré...
Des vents violents se mirent à souffler. La
mer s'agita. Le tonneau fut jeté sur un rivage
couvert de sable doré. Emilien et la princesse
Marie sortirent du tonneau.
-Mon cher Emilien, où allons-nous vivre? Il
faudrait que tu construises une petite isba.
- Je n'en ai pas envie, moi...
Alors la princesse le supplia, le supplia et Emilien
finit par s'écrier :
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, qu'un palais de pierre au toit doré
se construise ...
A peine eut-il prononcé ces mots qu'apparut
un palais de pierre au toit doré. Le palais
était entouré d'un jardin plein de fleurs
où chantaient des oiseaux. La princesse Marie
et Emilien entrèrent dans le palais et se mirent
à la fenêtre.
- Mon cher Emilien, ne pourrais-tu donc devenir un
beau jeune homme?
Emilien ne réfléchit pas longtemps:
- De par la volonté de messire Brochet et selon
mon bon plaisir, que je devienne un beau jeune homme,
le plus beau qui existe. Et Emilien devint si beau,
si beau... qu'on ne peut ni le dire, ni le décrire.
Le roi justement était à la chasse.
Soudain, il aperçut un palais là où
auparavant il n'y avait rien.
- Quel est le malappris qui, sans ma permission, a
osé construire un palais sur mes terres?
Et il envoya demander à qui appartenait ce
palais. Les envoyés accoururent près
de la fenêtre et demandèrent à
qui appartenait ce palais. Emilien leur répliqua:
- Dites au roi qu'il vienne me rendre visite, et je
lui répondrai moi-même.
Le roi vint donc lui rendre visite. Emilien l'accueillit,
le fit entrer dans le palais et l'installa à
table. Ils se mirent à festoyer. Le roi mangea,
but et s'étonna:
- Qui es-tu donc, brave jeune homme ?
-Te souviens-tu d'Emilien-le-bon-à-rien? J'étais
venu chez toi, monté sur mon poêle, et
toi, tu as ordonné qu'on m'enferme dans un
tonneau avec ta fille, et tu nous as fait jeter à
la mer. C'est moi, Emilien. Si je veux, je peux incendier
et dévaster tout ton royaume. Le roi fut fort
effrayé et se mit à demander pardon
:
- Epouse ma fille, Emilien, prends mon royaume, mais
ne me fais pas mourir !
On organisa alors un festin magnifique. Emilien épousa
la princesse Marie et gouverna le pays. Voici la fin
de mon récit. Qui l'a écouté
a bien fait.
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