
A.Kosterin. "Reine-grenouille"
Baguier. 1967 Kholouï |
Le roi, un jour,
convoqua ses fils: «Je veux savoir laquelle
de vos femmes est la plus habile de ses doigts. Qu'elles
me cousent une chemise pour demain.» Les trois
fils s'inclinèrent devant leur père
et s'en furent. Le prince Ivan revint chez lui, s'assit
et se prit la tête entre les mains.Et la grenouille
sur le plancher de sauter et de lui demander: «Pourquoi,
prince Ivan, as-tu la tête basse? Aurais-tu
donc quelque chagrin?»
«Mon père ordonne que tu lui couses une
chemise pour demain.» La grenouille alors répondit:
«Ne t'afflige pas, prince Ivan, va plutôt
dormir: la nuit porte conseil.» Le prince Ivan
s'en alla dormir, et la grenouille sauta d'un bond
sur le perron; elle rejeta sa peau de grenouille et
se transforma en Vassilissa la Sage, dont la beauté
est bien plus grande que contes ou légendes
ne peuvent la décrire. Vassilissa la Sage frappa
dans ses mains et s'écria: «Mes nounous,
hâtez-vous, préparez-vous! Cousez-moi
pour demain matin une chemise aussi belle que celle
que porte mon père.»
Le lendemain matin, le prince Ivan s'éveilla,
vit la grenouille sur le plancher et la chemise sur
la table enveloppée dans une serviette. Comme
il se réjouit ! Il apporta la chemise à
son père. Le roi était en train de recevoir
les présents que lui avaient apportés
ses fils aînés. Le plus âgé
déplia sa chemise, le roi la regarda et déclara:
« Cette chemise est bonne à porter dans
une isba enfumée !» Le fils cadet déplia
sa chemise, et le roi s'écria:
«Elle est bonne pour aller au bain ! »
Alors le prince Ivan déplia sa chemise, ornée
de merveilleux dessins en fils d'or et d'argent. Le
tsar s'exclama en la voyant:
«Voilà une chemise à porter les
jours de fête!» En revenant chez eux,
les deux frères aînés se dirent
tout étonnés: «Certes, nous avions
bien tort de nous moquer de l'épouse du prince
Ivan; elle n'est pas simple grenouille, mais véritable
sorcière.» Le roi fit à nouveau
appeler ses fils: «Que vos épouses me
cuisent du pain pour demain matin? Je veux savoir
quelle est celle qui cuisine le mieux.» Le prince
Ivan baissa la tête et revint chez lui. Alors
la grenouille lui demanda: «Pourquoi as-tu du
chagrin?» Et Ivan répondit: «II
te faut préparer un pain pour le donner au
roi demain.» «Ne t'afflige pas, prince
Ivan, va plutôt dormir, la nuit porte conseil.»
Quant aux épouses des deux frères, qui
d'abord s'étaient tant moquées, elles
envoyèrent une vieille servante pour bien observer
et venir leur raconter comment la grenouille ferait
cuire le pain. Mais la grenouille était rusée
et elle avait tout deviné! Elle pétrit
la pâte, puis perça un trou en haut du
four et y jeta la pâte ! La vieille servante
s'empressa de tout répéter à
ses maîtresses, et celles-ci aussitôt
firent de même. La grenouille d'un bond sauta
sur le perron, redevint Vassilissa la Sage, puis dans
ses mains elle frappa: «Mes nounous, hâtez-vous,
préparez-vous ! Faites cuire pour demain un
bon pain blanc, le pain blanc que je mangeais chez
mon père.» Lorsque le prince Ivan s'éveilla
le lendemain matin, il trouva sur la table un pain
merveilleusement décoré: des arabesques
étaient incrustées, sur ses flancs et
dessus se dressaient des villes entourées de
leurs remparts.
Comme il se réjouit! Il enveloppa
le pain dans une grande serviette et l'apporta à
son père. Le roi était en train de recevoir
les pains que lui apportaient ses fils aînés.
Mais leurs épouses avaient mis la pâte
au four comme le leur avait dit la vieille servante
et n'avaient ainsi obtenu qu'une horrible saleté
complètement brûlée. Le tsar prit
le pain que lui tendait son fils aîné,
le regarda et le renvoya à l'office. Puis il
prit le pain que lui tendait son fils cadet, et le
renvoya aussi à l'office. Mais lorsqu'il vit
le pain du prince Ivan, le roi s'écria: «Voilà
un pain à manger les jours de fête !
» Et le roi convia ses trois fils à venir
le lendemain, avec leurs épouses, assister
à un festin. Une fois de plus le prince Ivan
s'en revint chez lui tout triste et la tête
basse. Et la grenouille sur le plancher de sauter
et lui demander: «Pourquoi as-tu du chagrin,
prince Ivan, ton père t'aurait-il mal accueilli?»
«Grenouille, grenouillette, comment ne pas m'attrister?
Mon père ordonne que j'assiste demain avec
toi à un festin, mais à qui oserai-je
te montrer?» La grenouille répondit:
«Ne t'afflige pas, prince Ivan, rends-toi seul
au festin, moi, je te rejoindrai plus tard.»
Lorsque tu entendras un grand bruit de tonnerre, ne
t'effraie pas. Si on t'interroge, réponds:
«C'est ma grenouillette qui arrive dans sa cassette.»
Le prince Ivan alla donc seul au festin. Ses frères
aînés arrivèrent avec leurs épouses
bien vêtues, fort parées, les joues et
les sourcils fardés. Ils rirent et se moquèrent
du prince Ivan : «Pourquoi donc es-tu venu sans
ta femme? Tu aurais pu nous l'amener dans un mouchoir!
Où donc as-tu trouvé une telle beauté?
Tu as dû longtemps chercher de par tous les
étangs!»
Le roi, ses fils, leurs épouses
et les invités s'assirent autour des tables
de chêne couvertes de nappes brodées,
et tous se mirent à festoyer. Mais on entendit
soudain un grand bruit de tonnerre qui fit trembler
tout le palais. Les invités épouvantés
se levèrent d'un bond, mais le prince Ivan
les rassura :«Ne craignez rien, chers invités;
c'est ma grenouillette qui arrive dans sa cassette.»Une
calèche dorée, par six chevaux blancs-
traînée, vint s'arrêter aux portes
du palais ; et voilà qu'en sortit Vassilissa
la Sage, vêtue d'une robe azurée ornée
d'étoiles et portant sur la tête un croissant
de lune; sa beauté était bien plus grande
que ne peuvent la décrire contes ou légendes.
Elle prit le prince Ivan par la main et le mena vers
les tables de chêne couvertes de nappes brodées.
Et tout le monde se remit à manger, à
boire et à se réjouir.
Vassilissa la
Sage prit un verre, but, puis versa le vin qui restait
dans sa manche gauche. Elle mangea un morceau de cygne
et jeta les os dans sa manche droite. Les épouses
des fils aînés virent sa ruse et l'imitèrent
! Après avoir bu et mangé, on se mit
à danser. Vassilissa la Sage prit le prince
Ivan par la main et le conduisit au milieu de la salle.
Elle dansa, dansa, tourna, tourna, et tout le monde
s'émerveilla. Un geste de sa main gauche, et
un lac apparut. Un geste de sa main droite, des cygnes
blancs nagèrent. Le roi, ses invités,
tous furent enchantés. Puis les épouses
des fils aînés se mirent elles aussi
à danser: un geste de la main gauche, et le
vin jaillit de leur manche pour éclabousser
les pauvres invités. Un geste de la main droite,
et de leur manche s'échappèrent les
os; l'un d'eux atterrit en plein dans l'œil du
roi. Celui-ci, courroucé, chassa ses deux belles-filles.Pendant
ce temps, le prince Ivan s'en était allé
discrètement; chez lui, il retrouva la peau
de grenouille et la brûla.

R.Moisséyev. "Reine-grenouille"
Assiette décorative. 2000. Palekh |
Une fois
rentrée, Vassilissa la Sage se mit à
chercher la peau de grenouille, mais elle ne put la
trouver. Affligée, désespérée,
elle s'assit sur un banc et déclara au prince
Ivan : «Hélas, hélas, prince Ivan,
qu'as-tu fait! Si tu avais attendu encore trois jours,
j'aurais été à toi pour toujours,
mais maintenant je dois te dire adieu. Pour me retrouver
il te faudra aller au-delà des mers et des
terres, chez Kochtchéi l'Immortel.» Vassilissa
la Sage se transforma en un coucou gris et s'envola
par la fenêtre. Le prince Ivan pleura longtemps,
puis il s'inclina vers le Nord, l'Occident, le Sud
et l'Orient et partit droit devant lui pour retrouver
son épouse Vassilissa la Sage. Alla-t-il loin,
bien loin ou très près, marcha-t-il
longtemps, bien longtemps ou un bref moment... ses
bottes étaient toutes usées, sa tunique
déchirée, sa toque rongée par
les pluies.
Il rencontra alors un petit vieux chargé d'ans.
«Bonjour, brave jeune homme! Que cherches-tu
et où vas-tu?» Le prince Ivan lui raconta
ses malheurs. Le petit vieux lui dit alors: «Ah,
prince Ivan, pourquoi as-tu brûlé la
peau de grenouille? Ce n'est pas toi qui la lui avais
mise, ce n'était pas à toi de l'ôter.
Vassilissa la Sage est maligne, sa sagesse est plus
grande encore que celle de son père. Celui-ci
s'en est vexé et il l'a condamnée à
être grenouille trois années durant.
Qu'y faire! Prends la pelote que voici et où
elle roulera, hardiment suis-la.» Le prince
Ivan remercia le petit vieux et suivit la pelote.
Et la pelote de rouler, et le prince de marcher. En
pleine campagne, il rencontra un ours; il le visa
et voulut le tuer. Mais l'ours soudain se mit à
parler: «Ne me tue pas, prince Ivan, je te serai
utile un jour.» Le prince Ivan eut pitié
de l'ours et ne le tua pas. Il continua son chemin.
Soudain que vit-il?... Un canard sauvage qui volait
vers lui. Il le visa. Mais le canard se mit à
parler et lui dit: «Ne me tue pas, prince Ivan,
je te serai utile un jour.» Le prince Ivan eut
pitié du canard sauvage et continua son chemin.
Soudain voilà qu'accourut un lièvre.
Le prince Ivan s'apprête à lui décocher
une flèche, mais le lièvre se mit à
parler et lui dit : «Ne me tue pas, prince Ivan,
je te serai utile un jour.» Ivan eut pitié
du lièvre et continua son chemin. Il arriva
au bord de la mer bleue et vit un brochet sur le sable
; celui-ci respirait à peine et lui dit : «Oh,
prince Ivan, aie pitié de moi, rejette-moi
dans la mer bleue!»Il rejeta le brochet à
la mer et continua de marcher sur le rivage.
Longtemps,
longtemps ou un bref moment... La pelote continua
de rouler et l'emmena dans une forêt. Là
se dressait une isba montée sur des pattes
de poulet et qui ne cessait de tourner.
«Isba, petite isba, reprends ta place, celle
qui t'a été donnée: tourne le
dos à la forêt et tourne vers moi ton
entrée.» La petite isba tourna le dos
à la forêt et vers Ivan son entrée.
Le prince Ivan entra et que vit-il?... Sur le poêle,
sur la neuvième brique, était couchée
la sorcière Baba-Yaga : ses énormes
dents acérées traînaient jusqu'au
plancher, son nez crochu et démesuré
montait jusqu'au plafond ! «Que me veux-tu,
bon jeune homme? Accomplis-tu un haut fait, ou fuis-tu
quelque méfait?»
«Eh là! La vieille, donne-moi à
boire, nourris-moi, prépare-moi un bain, et
ensuite tu me questionneras!» Baba-Yaga lui
prépara un bain, lui donna à manger,
puis le mit au lit ; alors le prince Ivan lui raconta
qu'il cherchait son épouse Vassilissa la Sage.
«Je sais, je sais, dit Baba-Yaga , ton épouse
est chez Kochtchéi l'Immortel. La retrouver
sera compliqué, tuer Kochtchéi n'est
pas chose aisée: sa mort est au bout d'une
aiguille, cette aiguille est dans un œuf, cet
œuf est dans une cane, cette cane est dans un
lièvre, ce lièvre est dans un coffre
de pierre, ce coffre est sur un très haut chêne,
et ce chêne, Kochtchéi l'Immortel le
garde comme la prunelle de ses yeux. »
Le prince Ivan passa la nuit chez la sorcière
Baba-Yaga ; le lendemain matin, elle lui expliqua où
se trouvait le grand chêne. Marcha-t-il longtemps,
longtemps ou un bref moment..., enfin le prince Ivan
arriva en un lieu où il vit un grand chêne
qui murmurait dans le vent, et sur le chêne
un coffre de pierre fort difficile à atteindre.
Soudain, venu l'on ne sait d'où, arriva un
ours qui déracina le grand chêne. Le
coffre tomba et se brisa. Un lièvre bondit
du coffre et s'enfuit à toute allure. Un autre
lièvre bondit à sa poursuite, le rattrapa
et le mit en pièces. Une cane sortit du lièvre
et s'envola haut, très haut dans le ciel. Mais
un canard sauvage s'élança et frappa
la cane qui laissa alors tomber un œuf, et l'œuf
se perdit dans la mer bleue...
Le prince Ivan se mit à pleurer amèrement:
comment retrouver un œuf dans la mer! Mais un
brochet s'approchait du rivage, l'œuf entre les
dents. Le prince Ivan cassa l'œuf et en sortit
l'aiguille dont il brisa la pointe. Il la brisa, et
Kochtchéi l'Immortel se démena et se
débattit. Mais il eut beau se démener,
le prince Ivan parvint à ses fins. Ainsi mourut
Kochtchéi. Le prince Ivan pénétra
dans le palais blanc de Kochtchéi. Vassilissa
la Sage accourut vers lui et embrassa ses lèvres
de miel. Le prince Ivan et Vassilissa la Sage s'en
revinrent chez eux, où ils vécurent
longtemps et furent très heureux.
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