Accueil La littérature russe Contes Bylines L'histoire russe

L'art populaire de la Russie

Version anglais


Le petit cheval bossu

Premier partie



A



u delà des monts, des ondes,
au delà des mers profondes,
sur la terre (en face des cieux),
habitait, jadis, un vieux.
Il avait, le pauvre diable,
trois fistons : un gars capable ;
le deuxième - comme-ci, comme-ça ;
le troisième - un vrai bêta...



    "Le petit cheval bossu" est une œuvre folklorique qui, d'après son auteur même, a été recueillie par lui, presque mot à mot, de la bouche des conteurs populaires, Piotr Yerchov n'ayant fait que mettre un peu d'ordre dans la versification et compléter, par endroits, la narration.  Le célèbre poète A.Pouchkine, après avoir pris connaissance du début de ce conte, aurait dit au jeune Yerchov: «Je pense qu'il me faudra maintenant abandonner ce genre de littérature». La prosodie simple, sonore et puissante de ce conte, sa franche cocasserie rustique et sa richesse en scènes artistiquement réussies (le marché des chevaux, la procédure en justice chez les poissons, etc...), lui ont assuré une très large diffusion, même en dehors de la Russie en suscitant de nombreuses imitations.
     P.Yershov etait un fils d'un commissaire de la police rurale dans la région de Tobolsk en Sibirie. Fait des études de droit et philosophie à l'Université de Saint-Pétersbourg. Encore étudiant, il écrit "Le petit cheval bossu", qui assurera sa gloire lorsqu'il sera imprimé en 1834.
    Mais ne parvenant pas à le faire suivre de nouvelles réussites, il quitte la capitale et va enseigner le latin au Lycée de Tobolsk. Après d'autres tentatives littéraires malheureuses, Erchov finira par s'enliser dans son existence provinciale de petit fonctionnaire.
    Cet homme d'une seule œuvre a su y trouver un ton, un humour et une invention populaires authentiques.



S.Orlov "Le petit cbeval bossu"

S.Orlov "Le petit cbeval bossu"
Sculpture de porcelaine. 1954.  Leningrad
 

Le même jour, plus tard, quand l'ombre
Étendit ses ailes bleu-sombre,
Le deuxième des frères s'en va
Faire sa ronde, fourche sous le bras.
Mais, une fois dehors, il tremble
Comme l'aîné, et il lui semble,
Bien qu'on soit en plein été,
Que brusquement il a gelé,
II décide donc de se rendre
Chez une petite voisine bien tendre,
Chez laquelle, sans plus d'ennuis,
Tranquillement il passe la nuit.
Mais, sitôt qu'il vit paraître
L'aube, il vint à la fenêtre
Paternelle taper, pester :
«Eh, debout, vous qui restez
Bien au chaud, au coin de l'âtre!
La gelée en vraie marâtre
M'a traité pendant la nuit.
Ouvrez vite ! Je suis transi ! ...
L'écoutant ainsi se plaindre,
Tous les siens vinrent vite l'étreindre,
Comme son frère, en demandant :
«As-tu vu quelqu'un aux champs?»
Ce à quoi il sut répondre
Sans broncher : «A me morfondre
Toute la nuit j'y suis resté ;
Mais personne n'a rien tenté.
C'est qu'j'aurais su me défendre!»...
Et à lui aussi, très tendre,
Son papa, comme à Danila,
Dit: «T'es brave, mon Gavrila!»

 


V.Fomin "Le petit cheval bossu"
V.Fomin "Le petit cheval bossu"
Baguier. 1955.  Kholouï
 



La cavale enfin se lasse :
«Cher Ivan, dit-elle, de grâce,
Lâche-moi! Je te promets
Que jamais je ne toucherai
À vos champs. Bien plus, je pense
Te donner une récompense
Qui vaudra grandement le blé
Qu'en jouant, j'ai pu fouler.
Ce seront deux chevaux splendides
Qui naîtront de moi: rapides
Pleins de fougue, de force, de feu!
Et ce n'est pas tout: ces deux beaux
Coursiers auront un frère
Qui, ma foi, ne sera guère
Qu'un petit cheval bossu,
Mais ayant toutes les vertus
D'un ami subtil et tendre.
Les coursiers, tu peux les vendre,
Mon ami, si ça te plaît,
Mais non pas leur frère cadet
Car, vois-tu, ce cheval comique Possédera des dons magiques :
En hiver, il te chauffera ;
En été, t'rafraichira ;
T’apportera manger et boire ;
Et si t'as quelques déboires,
Il sera ton conseiller
Plein de sens et dévoué -
Mais d'abord, lâche-moi, de grâce!
Car, vraiment je suis trop lasse!»
- «Bon, lui dit Ivan, ça va.
Tu me plais et je te crois»...
Et il mène sa prisonnière,
Qui le suit, vers une chaumière
Égarée parmi les blés.
Où elle peut se reposer
En mangeant de l'herbe d'une crèche.
Après quoi, il se dépèche
De courir à la maison,
Où, avec un gros bâton,
Il secoue volets et portes
En criant d'une voix si forte
Que les siens, tous ahuris,
Par le feu se croient surpris.

 


V.Fomin "Le petit cheval bossu"
V.Fomin "Le petit cheval bossu"
Baguier. 1955.  Kholouï
 



Quant à Ivan, je vais vous dire
(et j'espère vous faire sourire
plus d'une fois!) comment il sut,
Grâce au petit cheval bossu
(qui n'était pas, lui, une cruche!)
Déjouer toutes les embûches
Que sans trêve, un ennemi
Implacable lui tendit;
Et comment il prit par ruse,
Sans filet ni arquebuse,
Le splendide Oiseau de Feu
Au plumage tout lumineux,
Pour, ensuite, faire prisonnière
La fameuse princesse Solaire;
Puis, comment il délivra
La Baleine, qui lui livra
La belle bague cachée sous l'onde
De la mer la plus profonde;
Et comment, par qui, pourquoi,
À son roi il succéda
Mais tout ça, une autre fois!


 

La partie suivante        




© 2004;   Artrusse    Email


 Les miniatures laquées
  - Fedoskino
  - Palekh
  - Mstéra
  - Kholouï
  Jostovo
  Gjel
  Châles de Pavlovski
  Possade


 Les jouets russes
  - Bogorodskoïé
  - Dymkovo
  - Le jouet moderne
  La dentelle de Vologda
  Khokhloma
  Les émaux de Rostov


Littérature russe /

Piotr Yerchov



  Le petit cheval bossu
     Premier partie
     Deuxieme partie
     Troisieme partie



Ivan

N'aspirant qu'à l'accessible,
Ils menaient une vie paisible:
Récoltaient du bon froment,
Qu'ils portaient de temps en temps
À la ville, où, sans esclandre,
Ils savaient très bien le vendre ;
Et, leur blé, une fois vendu,
Encaisser toujours leur dû.
Ils avaient donc quelques roubles.
Mais voici qu'à leur grand trouble,
Ils trouvèrent, un beau matin,
Une partie de leur terrain
Dans le plus complet désordre:
On était venu leur tordre,
Piétiner et emmêler
Tout un are de leur beau blé!...
Ils jurèrent de se défendre
Et, veillant la nuit, de prendre
Sur le fait les «sales brigands»
Qui ruinaient ainsi leur champ.
Donc, le soir du jour pénible,
Le premier des frères, terrible,
Bien armé d'une fourche, d'un pieu,
S'en alla d'un air glorieux
Faire sa ronde: froment et seigle
Seront saufs avec cet aigle!...
Mais voici qu'une fois aux champs,
Une peur bleue soudain le prend :
Bouleversé de fond en comble,
Il se sauve et, sous les combles
Se cachant, sans plus d'ennuis,
Tranquillement y passe la nuit.
L'aube venue, Aurore la tendre
Du grenier le fait descendre;
Il s'arrose d'un grand seau d'eau
Et, mouillé jusqu'au maillot,
Frappe des deux poings à la porte
En criant d'une voix bien forte:
«Eh, deboub les fainéants!...
Il a plu terriblement
Toute la nuit et, formidable,
Une tempête de tous les diables
A soufflé. J'ai cru mourir.
Hâtez-vous de m'accueillir! »...


Le petit cheval bossu

   La troisième journée se passe,
La lumière solaire s'efface...
Du bêta cette fois c'est l'tour.
Mais, couché sur le grand four
De l'izba, il ne bouge guère.
Indignés, les autres frères
Tentent vainement de l'éveiller...
Mais ils eurent beau crier :
«C'est ton tour. Veux-tu descendre!»
Il feignait ne rien entendre.
Il fallut que s'en mêlât
En personne le vieux papa.
Il lui dit: «Ivan, écoute,
Sois donc sage, va aux écoutes.
En échange, t'auras de moi
Des belles fèves et des petits pois. »
Et ce n'est qu'à cette promesse
(Qui plus forte que sa paresse,
Vint tenter le jeune gourmand)
Qu'il s'en fut enfin aux champs.
L'y voilà. La nuit est claire,
Car la lune en plein l'éclairé
«Qu'il fait beau !» dit le garçon...
Il s'assied sous un buisson ;
Puis s'y couche, compte les étoiles.,
Peu à peu sa vue se voile ;
Il s'ennuie, ma foi, franchement.
Tout à coup, un hénissement
R etentit. Cela lui ôte
Tout sommeil et vite il saute
Sur ses pieds, pour voir c'que c'est.
Et voilà que, telle un trait
Bien lancé, une blanche cavale
D'une colline vers lui dévale,
Piétinant et abîmant,
Dans sa course, le beau froment.
Avec ça, divinement belle.
«Tiens, quelle drôle de sauterelle,
Se dit Ivan: mais, attention!
Si des fois nous l'attrapions ?!»...
La cavale s'approche sans crainte,
M ais soudain elle est atteinte
Par Ivan, qui la saisit
Par la queue et saute, hardi,
Sur son dos, face à la croupe.
«Ah, ma chère, ça te la coupe !
Crie, joyeux, le brave garçon :
C'est que je n'ai pas besoin d'arçon
Pour dompter les petites voleuses!»..

  


Le petit cheval bossu


   Un beau soir, un jour de fête,
Danila, ayant la tête
Retournée d'avoir trop bu,
Dans les champs se trouve perdu.
Maugréant, il erre, il butte-
Tout à coup, il voit la hutte
Où Jeannot avait laissé
A cavale que vous savez.
Il y entre sans méfiance,
Mais, du coup, reprend conscience
En voyant deux beaux coursiers
Attachés au râtelier;
Et encore, un tout petit être
Qui pourrait passer, peut-être,
Deux grandes bosses ornant son dos,
Pour un drôle de petit chameau,
S'il n'avait de longues oreilles
Tel un lièvre... «Quelle merveille!
Dieu puissant! S'écrie Danila :
Vite, courons voir Gavrila !»...
Sans tarder, il trouve son frère :
«Viens donc voir quelle riche affaire
Par hasard j'ai dégotté.
Ce Ivan, quel petit futé!
Qui aurait pu croire la chose?!...
Mais Maintenant je sais la cause
Qui faisait que si souvent
Il allait coucher aux champs! »...
Et voilà nos gars en hâte,
Sans même mettre de savates,
Les pieds nus et se piquant
Aux orties et ronces, courant
En ligne droite vers la hutte,
Qu'ils atteignent (non sans culbutes!)
Et où, tout émerveillés,
Ils retrouvent les deux coursiers...

  


Le petit cheval bossu
  

A genoux le peuple tombe
Et s'écrie : «Vive notre roi! »...
Vers les deux coursiers tout droit,
En sautant de son carrosse,
Le monarque s'avance; de sa crosse
Il écarte les curieux,
Flatte des chevaux le col nerveux
Passe la main dans leurs crinières,
Les câline de mille manières
Et leur donne de doux petits noms;
Puis demande, plein d'émotion :
«De ces chevaux, qui est le maître?
Je désire le voir paraître
Devant moi immédiatement.
Qu'il approche!» A ces mots, Ivan
(Écartant d'un geste ses frères)
De la foule, la mine flère,
Sort et dit : «C'est moi, mon vieux!
C'est à moi qu'ils sont tous deux ».
- «Ah? Très bien! Toutes mes louanges!
Tu les vends?» - « Non, je les échange».
- «Contre quoi donc, s'il te plaît?»
- «Des pièces d'or, plein mon bonnet..»