n 1724 s'ouvre à la périphérie de Moscou,
sur la route menant à Gjel, la première manufacture
privée de céramique: celle d'Afanassi Grebenchtchikov,
qui produisait des articles de majolique dont l'émail
recouvre un biscuit poreux, épais, fait d'une argile
colorée. Les potiers de Gjel fournissent Grebenchtchikov
en argile et travaillent dans ses ateliers où ils
apprennent le métier.Après la mort de son
propriétaire survenue en 1757, l'usine tombe en déclin
et arrête finalement toute activité dans les
années 1770. Cependant la région de Gjel se
trouve alors parsemée de nombreux ateliers indépendants
produisant des objets de majolique très demandés
en Russie. La majolique de Gjel est un phénomène
artistique original, profondément national, lié
à la culture de l'ancienne Russie et à la
philosophie populaire; elle se signale par l'originalité
de ses sujets et de ses procédés formels et
plastiques.
Pot a kvass
Maiolique. Dernier tier du XVIIIe siècle
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Les décors
de tous ces articles sont peints sur l'émail cru.
Les contours exécutés à l'aide d'un
colorant sombre délimitent des surfaces coloriées
de mauve, de jaune, de vert, de bleu ou de brun. A la cuisson,
la fusion de l'émail et des couleurs fixe celles-ci.
Cette technique exige de l'artisan une véritable
virtuosité, toute retouche étant pratiquement
impossible. La peinture plane combine un motif variable
(fleurs, feuilles, herbes, animaux, oiseaux, des personnages
ou bien des paysages architecturaux) à des figures
géométriques (hachures, treillis) ; le tout
est organisé en registres horizontaux. Un des traits
les plus originaux de la poterie de Gjel est la combinaison
d'éléments décoratifs peints et sculptés.
Les objets de Gjel portent toujours des inscriptions précisant
leur destination (cadeau ou commande), la date de fabrication
et le nom de l'artisan ou du propriétaire. Empreintes
d'humour et de spontanéité, l"art de
Gjel frappent par la véracité des types populaires
mis en scène avec une économie étonnante
de moyens artistiques. De forme stylisée, elles sont
très expressives et possèdent le caractère
décoratif très prononcé.
S.Isaev "Hiver russe". Théiere
Porcelaine. 1999
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Au début
du XIXe siècle, après cinquante ans d'existence,
la majolique, coûteuse et demandant beaucoup de travail,
cède la place à la demi-faïence ou «faïence
commune», inventée à Gjel alors que
l'on y cherchait le secret de la faïence fine anglaise
très en vogue à l'époque. Proche par
son chromatisme de la faïence de Delft et de la porcelaine
chinoise, la faïence de Gjel s'en distingue cependant
par son imagerie et ses procédés de composition.
Les premières manufactures porcelainières
de Gjel remontent au début du XIXe siècle.
A la différence des produits des autres manufactures,
la porcelaine de Gjel est, elle, due à des artistes
autodidactes et est consommée par un large public
: petits hobereaux, marchands et fonctionnaires peu fortunés.
C'est ainsi que la porcelaine de Gjel, tout en conservant
des éléments de l'art russe ancien, en arrive
à son univers pictural moderne. Mais La production
artisanale et manufacturière cède peu à
peu la place à la fabrication intensive et mécanisée
d'articles bon marché. Elles perdent le combat contre
la production industrielle. Écrasés par la
concurrence, les ateliers ferment les uns après les
autres. Avec la première guerre mondiale (1914-1918)
et la guerre civile (1918-1922), l'artisanat de Gjel disparaît
presque totalement.
S.Isaev "Saumon". Plat pour le poisson
Porcelaine. 1997
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Mais
dans les années 1930 d'anciennes manufactures privées
renaissent sous la forme d'artels (sorte de coopérative)
qui fusionnent par la suite pour former des entreprises
plus importantes. Les articles de piètre qualité
artistique reçoivent un décor polychrome sur
couverte.La seconde guerre mondiale (1941-1945) met fin
à ces activités. Les anciennes traditions
de Gjel semblent alors définitivement perdues. Cependant
Alexandre Saltykov (1900-1959), spécialiste des arts
appliqués à l'Institut de recherche scientifique
des arts et métiers de Moscou, s'attelle à
un travail minutieux fouillant dans les archives et les
musées les matériaux sur l'artisanat de Gjel.
Des études de laboratoire ont permis de retrouver
la composition de la majolique et il est redevenu possible
d'en fabriquer quelques échantillons avec décor
sur émail cru. Pour Saltykov et ses collègues,
il a paru rationnel de prendre pour modèle les objets
du XVIIIe siècle, cependant, la majolique figurée
combinant peinture et sculpture, a présenté
trop de difficultés sur le plan technique. Le manque
d'artisans expérimentés causées par
la guerre ont rendu les recherches dans ce domaine impossibles.
C'est pourquoi il a été décidé
de produire des articles de porcelaine épaisse décorée
au cobalt sous couverte aux formes plus simples. Ainsi a
vu le jour la nouvelle porcelaine bleue et blanche de Gjel
que nous connaissons actuellement
V. Nepliouev. Pot à kvass "Chasse"
Porcelaine. 1982
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En
travaillant sur les formes des objets d'usage courant, les
décorant parfois d'éléments sculptés,
elle réalisa aussi de nombreuses compositions sculpturales.C'est
ainsi que la porcelaine développe les traditions
de la majolique du XVIIIe siècle. L'art de Gjel revit
depuis soixante ans déjà, durant lesquels
il a traversé plusieurs étapes de son évolution.
Aujourd'hui on y produit avant tout de la porcelaine à
parois épaisses, à décor bleu sous
couverte appliqué à main libre au pinceau.
Les artistes travaillent sans esquisse préalable,
en improvisation libre. Chaque coup de pinceau est vivant
et expressif; grâce à la richesse des nuances
- de l'outremer au bleu très pâle - le bleu
de cobalt donne l'impression de la polychromie. La maîtrise
des artistes de Gjel aussi atteint à la perfection.
Cela concerne la statuaire qui réunit le façonnage
au tour et le moulage à la main, procédé
connu depuis longtemps pour l'argile et qui n'est pas lié
à des technologies modernes; cela est également
vrai pour les décors peints, où le travail
virtuose et la diversité des procédés
permettent une gamme richissime de nuances d'un même
ton et donnent l'illusion de polychromie de la peinture.
L.Azarova "Chasseur". Bouteille
Porcelaine. 1975
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L'indépendance
de Gjel vis-à-vis des contraintes et des normes imposées
à l'industrie pour l'épaisseur de la porcelaine
et les dimensions des objets donne à l'artiste pleine
liberté dans l'élaboration des formes et des
décors. La finition peut être parfois imparfaite,
le dessin un peu flou ou les proportions mal respectées,
mais c'est toujours la spontanéité et la vivacité
de l'exécution qui prédominent dans les pièces
sorties des mains des artisans et qui suscitent notre admiration.
La fabrication manuelle, une des caractéristiques
essentielles de l'artisanat populaire, est indissociable
dans la porcelaine de Gjel d'une spiritualité toute
spéciale. Gaie et élégante, débonnaire
et malicieuse, fantastique et réelle, c'est la vie
avec ses multiples facettes qui y est incarnée. Le
décor bleu, la luminosité douce de la porcelaine
blanche recèlent la joie de vivre et un air de fête.
Les Russes ont toujours aimé la couleur bleue, dans
la vie quotidienne comme dans la création artistique.
Il suffit pour s'en convaincre de se remémorer le
fameux ton bleu des fresques et des icônes anciennes.
C'est aussi une des couleurs prédominantes dans les
chambranles sculptés des isbas paysannes se confondant
par les jours glacés et ensoleillés avec l'immensité
bleue du ciel et tranchant vivement sur la blancheur étincelante
de la neige. La porcelaine de Gjel possède un caractère
démocratique, qui est exprimé non seulement
dans son prix relativement peu élevé, mais
par le fait qu'elle est conçue pour un large public.
Ces objets sont pratiques : la matière en est plus
solide que la porcelaine à parois minces ; les formes
en sont simples, adaptées au foyer domestique, mais
se distinguent aussi par une élégance loin
d'être guindée. La poterie de Gjel apporte
du confort et de la chaleur humaine à l'appartement
moderne. C'est en cela, ainsi que dans sa valeur esthétique
et son tirage limité, que consiste le secret de son
succès
N. et V.Bidak. Beurrier "La petite bergere"
Porcelaine. 1975
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